Messagepar RBD » 29 janv. 2020, 23:49
En me glissant dans un public de retraités tempéré d’une poignée d’étudiants en cinéma, j’ai profité d’un petit festival local pour revoir, sur grand écran, le chef-d’oeuvre charnière de Fellini, “8 ½”. C’est là qu’il a délaissé définitivement tout néoréalisme social sous l’effet d’une psychanalyse jungienne, une bonne partie du style étant déjà en place, pour basculer dans le rêve. Le pitch est simple : tout en entamant une cure thermale, un réalisateur en mal d’inspiration se dépêtre péniblement entre son film qui n’avance pas, sa maîtresse, sa femme et ses souvenirs d’enfance où il espère puiser un peu d’inspiration.
De manière voulue, l’histoire n’avance pas vraiment dans un ballet de personnages épuisants entre une réalité sans issue, des rêves, des songeries et des souvenirs qui maintiennent le personnage central dans sa dépression évidente. Si ce n’était l’un des plus beaux rôles de l’immense Mastroianni, on y verrait bien Bill Murray (encore que sans la gaieté feinte constante du beau Marcello, quand il n’essaie pas de se cacher ou qu’il est filmé de dos, cela n’aurait pas tellement le même sens). En fait le sens viendra au retournement final, qui tient et touche à l’esthétique et non à un quelconque “twist” d’intrigue, comme métaphore d’une libération qui va au-delà d’une simple psychanalyse. Les thèmes récurrents du mensonge et de la pureté, liés à certains personnages de proches, introduisent le doute indispensable : au fond Fellini ne se bornait pas à parler de lui, et l’on peut s’amuser à trier ce qui ne correspond pas à là où il en était au moment où il faisait ce film.
La mise en scène est évidemment typique du maestro, aimant la fumée et le vent, farcie de détails qui donnent des clefs pour mieux y rentrer. Mais le grotesque n’est pas écoeurant comme cela sera plus tard à mesure qu’il redeviendra pessimiste, En premier lieu ce sont ce noir et blanc à forts contrastes, où le réalisateur se déplace toujours en costume monochrome, et quelques plans séquences brillants. Nino Rota à la musique donne un de ses nombreux thèmes passés à la postérité, mais on retrouve aussi un certain air wagnérien que la postérité associera définitivement plus tard à une autre scène encore plus célèbre d’un collègue américano-italien.
Il y aurait encore beaucoup à dire rien que sur ce film. Le statut de Fellini est à mon avis pleinement justifié.